Le bonheur semble parfait dans le parc, sous la lumière de juin.
Un cygne glisse sur l'onde, des enfants pleurent, d'autres rient, un mendiant devise seul, des amoureux s'étreignent sur les bancs, quelques laiderons légèrement vêtus musardent dans les allées.
Mais là-bas sur la pelouse au pied d'un grand arbre un vieillard agonise à l'insu de tous. A le voir, il dort. En réalité il est en train de rendre l'âme. Ses soupirs rasent l'herbe, ne faisant même pas dévier l'aile du papillon. A vrai dire seules les mouches dansent au-dessus de la face immobile du moribond, attirées par l'odeur du sucre : un reste de confiture séchée lui fait une moustache couleur sang sur la lèvre supérieure.
Un ballon s'égare jusqu'au gisant, rebondit sur son crâne inerte pour venir se loger sous son aisselle. Le presque cadavre esquisse un imperceptible mouvement au contact de la balle. Le bambin ignorant tout du sort funeste des êtres réclame son joujou à l'octogénaire étendu dont les paupières ne daignent pas bouger d'un cil devant les suppliques de l'enfant.
Quatre-vingts années se sont écoulées depuis cette scène. L'enfant au ballon a aujourd'hui quatre-vingt-sept ans. Il prend le soleil dans un parc, le même que celui de son enfance. Endormi dans son fauteuil roulant électrique, il ne sent pas la balle rebondir sur sa tempe, tomber sur le sol, rebondir encore pour finir sa course sur ses genoux. Sa lèvre supérieure barrée par une trace brune a attiré une abeille en quête de nectar. Une boîte vide de coca-cola gît par terre.
L'enfant s'approche du retraité assoupi.
Il reprend sa balle délicatement et repart sur la pointe des pieds, de crainte de le réveiller.
Mais l'invalide jamais ne se réveillera.
L'univers izarrien
dimanche 3 juin 2007
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